A 16 heures, nous avons rendez-vous avec Mirta Baravalle, une des cofondarices du mouvement “Madres de la Plaza de Mayo”. Ce groupe de femmes octogénaires se bat depuis 30 ans pour, comme le dit sa devise, rétablir la “memoria, la verdad y la justicia” au sujet de la disparition de leurs enfants.
Faisons un bref rappel de cette période trouble de l´histoire argentine : pendant la dictature militaire (1976-1983), environ 30.000 opposants au régime auraient été enlevés, torturés puis assassinés par la junte. L´écrasante majorité des corps n´a jamais été retrouvée et l´Etat a toujours refusé de délivrer des informations aux familles et au peuple. Aujourd´hui, ces “grands-mères” peuvent presque se satisfaire d´avoir rétabli la mémoire et la vérité, mais la lenteur de la justice quant à la condamnation des reponsables les oblige à ne rien lâcher.
Comme prévu nous nous rendons donc au local des “madres” afin d´y rencontrer Mirta. Nous l´attendons quelques minutes dans la salle où sont affichées des centaines de photos des disparus. Elle arrive enfin, souriante et pimpante, et vient à notre rencontre. Malgré son âge avancé elle dégage un charme et une élégance surprenante ; elle reste néanmoins d´une grande simplicité lorsqu´elle nous aborde. Nous discutons brièvement et je lui réexplique l´objet de notre entretien.
Je lui parle également de la façon dont nous allons l´interwiever. Elle acquiesce et semble confiante et décontracter, comme si elle avait déjà une grande habitude de ce genre de situation.
Nous nous asseyons autour de la table, je me charge de l´interviewer pendant que Flo filme et qu´Adri prend les photos. Elle commence par se présenter, mais insiste rapidement sur l´histoire de sa fille, Ana Maria, dont elle porte la photo acrochée autour du coup. Ana Maria fût enlevée par les militaires en 1977 alors qu´elle avait 20 ans. Mirta nous dit que sa fille n´était pas une subversive, une terroriste comme l´Etat qualifiait les opposants et comme certains continuent encore aujourd´hui de les appeler. Elle était une militante de gauche, progressiste, qui rêvait d´une société meilleure.
Mirta nous raconte alors comment sa fille fût brutalement enlevée avec son compagnon et insiste sur le total mystère de sa disparition, sur l´impossibilité de savoir ce qu´il était advenu d´elle. Dans cette angoisse elle décida de se rendre directement au siège du gouvernement, sur la “Plaza de Mayo”, pour interpeller les militaires et obtenir des informations. Là-bas elle trouva d´autres mères dans la même situation. Face au mutisme et aux mensonges des autorités, ces femmes se réunirent et commencèrent à manifester en silence autour de la “Plaza de Mayo”, pour protester et se faire entendre. Ainsi naquit spontanément le mouvement qui allait porter le nom de cette fameuse place. Depuis lors, tous les jeudi, Mirta et les autres “madres” coiffées d´un foulard blanc marqué du nom de leur enfant, réalisent cette marche pacifique mais non moins militante.
S´il y a une chose sur laquelle cette petite femme a insisté c´est bien sur la lâcheté des dirigeants. D´abord, celle des militaires bien sûr, parce qu´ils combattirent les idées des opposants avec des fusils et qu´ils les éliminèrent brutalement, sans laisser de traces. Puis elle souligne également la lâcheté et la complicité des gouvernements démocratiques qui succedèrent à la dictature. Grâce à plusieurs lois, beaucoup de bourreaux furent amnistiés ou purgèrent leurs peines à domicile (pour les plus de 70 ans). Globalement, les gouvernements et la justice ont toujours témoignés d´un manque de volonté concernant la poursuite des responsables. Pour Mirta, cela s´explique par une complicité évidente des autorités à l´égard des militaires.
Aujourd´hui les “madres” divisent l´opinion publique. Beaucoup d´argentins soutiennent leur cause mais une autre partie du pays continue à qualifier les disparus de terroristes ou à penser que ce mouvement est coupable d´opposer les argentins, alors que plus de 30 ans ont déjà passés. Certains disent aussi que le chiffre de 30.000 disparus est très surévalué.
De mon point de vue d´observateur extérieur, je ne peux m´empêcher de comprendre et de compatir avec ces mères courageuses à qui on a enlevé les enfants. Quand bien même certaines de ces personnes auraient commis des actes terroristes, on ne peut pas non plus cautionner que l´Etat ait agi en représaille comme il l´a fait, avec cette volonté génocidaire de faire disparaître les contestataires.
Arrivés à la fin de l´entretien, nous discutons librement sur le thème de la Colombie, où Mirta nous dit qu´elle milite également en faveur des victimes du conflit armé. Nous échangeons aussi quelques impressions sur la politique en France et elle nous confesse qu´elle n´apprécie pas Nicolas Sarkozy, trop narcissique et démagogue à son goût.
Après plus d´une demi heure passée avec elle, nous prenons quelques photos tous ensembles et échangeons amicalement nos coordonnées. Mirta viendra à Paris début Octobre. Nous espérons la voir de nouveau là-bas.
Nico, Mirta, Flo et Adri