Lors de notre voyage au Pérou, nous avons passé nos derniers jours à Tarapoto, une petite ville tropicale située en Amazonie, dans le nord du pays. Là-bas, nous avons eu l’opportunité de pouvoir observer le travail d’une ONG qui lutte chaque jour pour aider les nombreux « campesinos », paysans, qui travaillent à Tarapoto et aux alentours, dans la région de San Martin. Cependant, avant de rentrer plus dans les détails de cette expédition en Amazonie, il me paraît opportun de rappeler les conditions dans lesquelles nous sommes arrivés là-bas et comment nous avons pu rentrer en contact avec cette ONG. En fait, dès le début de notre road-trip en Amérique du Sud, Nicolas nous avait parlé d’une connaissance de son père, un curé, qui travaillait au Pérou dans la jungle avec les paysans de la région. A vrai dire, nous n’en savions pas plus : ni où exactement, ni vraiment en quoi consistait le travail de ce mystérieux curé. Mais curieux de nature, l’idée de faire un reportage et de passer quelques jours avec des autochtones dans la jungle amazonienne nous a tout de suite intéressé. Une occasion unique et originale se présentait à nous : celle de se pencher sur un thème social tout en vivant et côtoyant une partie de cette population d’Amazonie, loin des touristes, proche de la réalité.
C’est à Cuzco, l’ancienne capitale inca autrefois entièrement couverte d’or, que tout a commencé. Nous avons appelé Roberto Lay Ruiz apprenant qu’il travaillait en réalité dans une ONG à Tarapoto dans le nord, et qu’il n’était d’ailleurs plus curé depuis des années. Sans hésiter, celui-ci nous a tout de suite invité à passer quelques jours au sein de l’ONG. En regardant la carte du Pérou pour situer Tarapoto, nous nous sommes rendus compte que cette ville était située à au moins deux jours de bus de Cuzco, en pleine Amazonie. Cela nous a d’autant plus motivés et nous y sommes arrivés après plus de 30 heures de bus depuis Lima, où nous nous étions arrêtés un jour.
En arrivant à Tarapoto, c’est une chaleur étouffante et tropicale qui nous accueille. Encore engourdis par le long voyage, nous découvrons vite une ville atypique : les rues, parfois goudronnées dans le centre, beaucoup plus souvent en terre, sont remplies de « moto-taxi » ou « pousse-pousse », ce qui me fait penser à l’Asie. Ici, il n’y a pas de voitures, ou quasiment pas. Il règne une atmosphère très particulière et agréable. Un taxi-moto nous conduit jusqu’au locaux de l’ONG. Roberto Lay Ruiz, un homme d’une cinquantaine d’années, nous accueille chaleureusement. Tout en nous montrant les locaux et la chambre dans laquelle nous allons loger, il nous décrit brièvement la fonctionnement et la mission de l’ONG : IDPA « Instituto para el Desarrollo y la Paz Amazonica », (l’institut pour le développement et la paix amazonienne) existe depuis le 23 mars 1993, date de sa création. IDPA naît à Tarapoto appliquant une stratégie d’appui, d’assistance aux familles déplacées à cause de la guerre liée au narcotrafic qui sévit alors dans la région. Depuis cette guerre, qui a marqué cette partie d’Amazonie, la culture de la coca est d’ailleurs interdite. IDPA est donc née dans ce contexte particulier et a continué dans le même sens les années suivantes en impulsant une stratégie de « Reconstruction du tissu social détruit par la guerre narcoterroriste », en regroupant 25 quartiers de Tarapoto. A partir de 2000, IDPA oriente principalement son action vers le développement d’une production agricole équitable et durable. Depuis lors, et particulièrement depuis 2005, l’ONG travaille avec des familles de paysans organisées et regroupées, expérimentant avec celles-ci des expériences de développement, d’attribution de crédits et de diversification agricole, leur permettant d’accéder plus facilement aux marchés.
Afin de voir concrètement le travail de l’ONG sur le terrain, Roberto nous propose de partir tôt dès le lendemain avec James, un membre de l’ONG que nous ne connaissons pas encore, pour aller à Chazuta, petit village situé à 42 km de Tarapoto, dans une zone rurale agricole des plus pauvre du pays. Dans le 4x4 qui nous y amène, nous posons des questions à James par rapport à l’action concrète de l’ONG sur le terrain, qui reste encore floue pour nous. Tout d’abord, celui-ci se présente : il s’appelle James Boond Vélasquez, nom original choisi par ses parents aficionados de l’agent secret anglais. James Boond est aujourd’hui trésorier de l’ONG, il a été l’un de ses fondateurs, assurant sa présidence pendant 4 ans. En fait, James est l’interlocuteur parfait pour nous parler de l’ONG et de son travail, en plus d’être sympathique et accessible. Sur le chemin pour aller à Chazuta, nous roulons sur des petites pistes en terres bordées d’immenses arbres, croisant des paysans, machettes à la main, qui portent leurs récoltes sur leur dos. Nous prenons en stop une famille se rendant à Chazuta qui pour nous remercier nous offrent des petits poissons qu’ils viennent de pêcher dans le fleuve bordant la route. Ici, le troc fonctionne encore très bien. James nous explique que l’ONG a quatre missions principales actuellement : elle aide les petits producteurs à diversifier leur production (conseils techniques, aides matérielles), tout en leur faisant bénéficier de micro crédits. De plus, elle organise et gère leur production, ainsi que la commercialisation de leurs produits. Enfin, l’ONG poursuit un travail de formation et d’aide aux femmes dans des ateliers et des centres pilotes spécialisés.
Cependant, nous ne savons toujours pas comment se finance l’ONG. James nous explique que les principaux fonds d’ IDPA ont pour origine des organismes publics d’Asturies, en Espagne, comme la mairie de Gijon ou d’Oviedo par exemple. Ceux-ci allouent un budget précis pour un projet déterminé, qui s’étend sur plusieurs années. Aujourd’hui, le projet principal d’IDPA qui existe depuis 10 ans se termine. Il a permit la construction de plusieurs centres et ateliers, ainsi que l’apport d’aide matérielle et l’attribution de micro-crédits destinés à favoriser l’investissement pour les paysans. Ce système de micro-crédits permet d’ailleurs aussi à l’ONG de se financer. Actuellement, IDPA travaille en coopération avec l’association APOCH, « Associacion de Productores Organicos de Chazuta », dont nous rencontrons le président, Juan Benito Sandoval Iskuiza, une fois arrivés à Chazuta. Ce petit village perdu dans l’Amazonie regroupe 2000 personnes, principalement des petits producteurs qui possèdent des terrains aux alentours. James et Benito nous invitent à déjeuner dans une petite maison d’un habitant où nous dégustons les poissons offerts sur la route dans une ambiance chaleureuse. Benito nous explique que l’association APOCH existe depuis bientôt trois ans et regroupe quarante personnes, totalisant en tout une trentaine d’hectares.
Après le déjeuner, Benito et James nous proposent d’aller dans la jungle visiter les parcelles de certains membres de l’association. La chaleur est étouffante, et nous luttons pour marcher car nous ne sommes pas habitués. En voyant la rivière qui borde le chemin, l’envie de nous baigner nous démange. Nous faisons une halte pour profiter de l’eau fraîche puis nous nous dirigeons vers la maison de Benito, qui nous explique qu’ici se cultivent principalement des bananes, papayes et ananas. Il ajoute que depuis 2002 et grâce à IDPA c’est la culture du cacao qui est en plein boom. Son terrain en est rempli, comprenant plusieurs variétés différentes. En nous montrant ses plants, il nous explique que le cacao est très rentable car il se récolte tout les mois et se vend bien. Il nous montre également une plante nommée Sacha Inchi, encore inconnue au niveau international, qui sert à faire de l’huile possédant de nombreuses vertus thérapeutiques. Les producteurs de la région semblent d’ailleurs nourrir beaucoup d’espoirs sur cette « nouvelle » plante. Le reste de la journée, nous visitons les parcelles et sommes très bien accueillis par les familles, qui vivent dans des petites huttes en paille, perdues dans la jungle. Maximo, un membre de l’assos, dont nous avons visité la parcelle, a neuf enfants…Toute la famille vit et dort sur un seul plancher. On se rend compte de la pauvreté de ces gens, qui vivent dans des conditions difficiles.
Nous allons ensuite dans un « centro piloto » (l’ONG en possède deux, dont un qui comprend des dortoirs et des salles de réunions). James nous explique que ce centre est en fait un lieu d’expérimentation, quelques hectares où ils testent différentes plantes, par rapport aux types de terrains et aux particularités de la terre. C’est ici qu’ils ont découvert que le cacao s’adaptait bien au climat et à la terre par exemple. De nombreuses plantes poussent ici, dont il est difficile de retenir tous les noms…
En fin d’après midi, Benito nous invite à assister à une réunion de l’association. Une dizaine de membre de l’assos sont là et chacun se présente. De notre côté, nous expliquons le but de notre reportage, pourquoi et comment nous sommes arrivés ici. Aujourd’hui, les objectifs de APOCH sont de réunir un nombre important de producteurs afin d’avoir plus d’hectares, de production et de facilités pour exporter. En effet, individuellement, il est difficile de vendre et d’exporter sa production, à part sur les marchés locaux de Chazuta ou de Tarapoto. En se regroupant, les producteurs peuvent diversifier leurs productions dans une quantité beaucoup plus importante et peuvent fixer des prix plus intéressants. L’objectif numéro un est donc de fonder une coopérative (ils ont besoin de regrouper environ 100 hectares, soit environ 200 tonnes de cacao) et pour cela il faut convaincre les paysans de se joindre à l’assos, chose auparavant difficile mais les mentalités commencent à évoluer. D’ailleurs, Benito nous explique que beaucoup d’associations ont échoué ici, par manque d’organisation et d’adaptation au contexte actuel.
Un autre thème important est celui de la certification de leur production, qui leur permettrait d’exporter et de vendre plus facilement. Cette certification coûte chère (plus de 5000 dollars) et le statut de coopérative leur donnerait la possibilité d’obtenir des subventions, en plus de légitimer l’association et son fonctionnement. Ils espèrent ainsi exporter le cacao d’ici quelques années jusqu’à Lima. La réunion est sincère, les visages graves et concentrés. Nous sentons évidemment l’espoir qui naît en eux, car rares sont les européens qui arrivent ici pour s’intéresser à l’ONG et à l’association. Nous avons envie de les aider, mais comment ? Nous ne leur promettons rien, ce serait prétentieux de notre part, mais nous les soutenons. Nous pouvons essayer de faire connaître l’ONG et l’association autour de nous, et pourquoi pas essayer de rentrer en contact avec des ONG françaises, qui pourront peut être les aider. Une telle expérience, un tel voyage ne laissent en tout cas pas indifférent. Côtoyer ces gens, vivre avec eux, c’est aussi apprendre sur nous même et sur le monde qui nous entoure.